Le rapport Meadows de 1972 avait raison : Nous nous rapprochons à grands pas de l’effondrement tant redouté

Julien Chevalier est consultant associé chez Horenso. Adhérent Placéco, il met à contribution la rubrique Opinion pour partager son point de vue sur « l’effondrement » prévu en 1972 par le rapport Meadows « Les limites à la croissance ».

Cet article, est le premier d’une série, à travers laquelle je souhaite m’exprimer sur différents sujets encadrant la problématique « énergie-climat ». Mon objectif est d’apporter une très modeste contribution à la compréhension des lecteurs de Placéco sur le phénomène du changement climatique que nous vivons tous. Ce support sera donc l’occasion de m’exprimer sur de nombreux sujets comme l’hydrogène, le nucléaire, EELV, le pétrole, le financement de la transition énergétique, etc… Le contenu que je propose à Placéco n’engage que moi.

Le livre de 1972 Limits to Growth (1), prévoyait que notre civilisation s’effondrerait (2) probablement au cours de ce siècle. Cette idée a été vivement critiquée depuis sa publication comme une sorte de fantasme apocalyptique. À titre d’exemple en 2002, Bjorn Lomborg, statisticien danois et expert auto-proclamé en environnement a souhaité mettre ce rapport à la « poubelle de l’histoire », lié selon lui à la faible qualité des prévisions du modèle utilisé par l’équipe de chercheurs du MIT dirigé par Dennis Meadows.

Cependant, des recherches de l’université de Melbourne ont révélé que les prévisions du livre sont exactes, et ce 40 ans plus tard ! En somme, si nous continuons à suivre les tendances présentées dans le rapport Meadows, il faut nous attendre à ce que les premiers effets d’un effondrement à l’échelle mondial commencent bientôt à toucher de manière intense l’ensemble de la population planète.

Le livre Limits to Growth est issu d’un rapport mandaté par un groupe de réflexion appelé le Club de Rome. Des chercheurs du MIT (3) spécialisés en dynamique des systèmes et macro-économie, composé de Dennis & Donella Meadows, Jørgen Randers et William Behrens, ont construit un modèle informatique pour suivre et prédire l’évolution de l’économie et de l’environnement du monde. Appelé World 3, ce modèle informatique était à la pointe des techniques de modélisations mathématiques.

D’un point de vue méthodologique, l’équipe a suivi plusieurs facteurs comme l’industrialisation, la population, la nourriture, l’utilisation des ressources et la pollution. Ils ont modélisé des données jusqu’en 1970, puis ont développé une gamme de scénarios jusqu’en 2100, selon que l’humanité ait pris des mesures sérieuses sur les questions d’environnement et d’utilisation des ressources. Si cela n’était pas le cas, le modèle prévoyait un « dépassement et un effondrement », que ce soit dans l’économie, l’environnement et la population, et ce avant 2070. On appelait cela le scénario du « business-as-usual ».

L’un des points centraux du livre est de tout simplement prendre conscience que « la terre est finie », comme aime à le rappeler Jean-Marc Jancovici (4) dans chacune de ses conférences. La Terre ne fait que 13.000 km de diamètre, aussi la recherche d’une croissance illimitée de la population, des biens matériels, du pouvoir d’achat, etc… dans un monde fini finira par inévitablement conduire à un crash.

Alors, est-ce que l’équipe de Meadows avait raison, dès 1972 ? Une question sur laquelle de nombreux chercheurs ont tenté d’apporter une réponse construite. L’un d’entre eux, le Dr Graham Turner de l’université de Melbourne a rassemblé des données auprès de l’ONU (depuis le département des affaires économiques et sociales, l’Unesco, l’organisation pour l’alimentation et l’agriculture et l’annuaire statistique des Nations Unies). Il a également vérifié nombre de données auprès de l’administration nationale américaine des océans et de l’atmosphère, de BP Statistical Review, etc… Ces données ont été tracées parallèlement aux scénarios de Limits to Growth pour être compilées dans un papier scientifique (5).

Les résultats montrent que le monde suit de près le scénario « Business-as-usual » de Limits to Growth. Les données ne correspondent malheureusement pas aux autres scénarios qui démontreraient que l’humanité ait mis en place des actions permettant de limiter le réchauffement climatique de manière efficace.

Les graphiques ci-dessous (6) montrent des données du monde réel (d’abord du travail du MIT, puis des recherches menées par Dr Graham.), tracées en trait plein. La ligne pointillée montre le scénario « Business-as-usual » jusqu’en 2100. Et jusqu’en 2010, les données sont étonnamment similaires aux prévisions du rapport Meadows présenté au Club de Rome (1972) !

Comme les chercheurs du MIT l’ont expliqué en 1972, selon le scénario, la croissance démographique et la demande de richesse matérielle entraîneraient une production industrielle et une pollution accrue. Les graphiques montrent que cela se produit effectivement. Les ressources s’épuisent à un rythme rapide, la pollution augmente, la production industrielle et la nourriture par habitant augmentent et en parallèle, la population augmente rapidement.

Jusqu’à présent, Limits to Growth a anticipé la réalité avec une précision déconcertante. Alors que se passe-t-il ensuite ? Selon l’équipe Meadows, pour alimenter la croissance continue de la production industrielle, il faut une utilisation toujours croissante des ressources. Mais les ressources deviennent plus chères à obtenir à mesure qu’elles sont épuisées. Alors que de plus en plus de capitaux sont consacrés à l’extraction des ressources, la production industrielle par habitant commence à décliner à partir des années 2015 selon les éléments du livre.

À mesure que la pollution augmente et que les intrants industriels dans l’agriculture diminuent, la production alimentaire par habitant diminue mécaniquement. Les services de santé et d’éducation sont réduits, ce qui se conjugue pour entraîner une augmentation du taux de mortalité à partir d’environ 2020. La population mondiale commence à baisser à partir de 2030 environ, d’environ un demi-milliard de personnes par décennie ! Les conditions de vie tombent à des niveaux similaires à ceux du début des années 1900.

Toujours d’après les éléments présentés dans le livre, ce sont essentiellement des contraintes de ressources qui provoquent un effondrement global. Cependant, les limites à la croissance tiennent compte des retombées de l’augmentation de la pollution, y compris du changement climatique. L’équipe Meadows avertit que les émissions de dioxyde de carbone auraient un « effet climatologique » via le « réchauffement de l’atmosphère ».

Comme le montrent les graphiques, les chercheurs de l’Université de Melbourne n’ont pas trouvé de preuve d’effondrement à partir de 2010 (bien que la croissance ait déjà stagné dans certains domaines). Mais dans Limits to Growth, ces effets ne commencent à se faire sentir de manière importante et globale qu’au cours de la décennie 2020 – 2030.

Les premières étapes du déclin ont peut-être déjà commencé. La crise financière mondiale de 2008 et le malaise économique que nous vivons depuis lors peuvent être un signe avant-coureur des retombées des contraintes de ressources. La poursuite de la richesse matérielle a contribué à des niveaux d’endettement insoutenables, les prix soudainement plus élevés de la nourriture et du pétrole contribuant aux défauts. Et « nouveau » signe noir face à nous est l’apparition d’un nouveau virus qu’est celui de la Covid-19. Rappelons que de tout temps, l’effondrement non maîtrisée d’une population a toujours trois origines bien distinctes : la guerre, la famine et les maladies (7).

La problématique du pic pétrolier est également une question critique. De nombreux chercheurs indépendants concluent que la production de pétrole conventionnel a déjà atteint un sommet. Même l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) réputée pour son côté conservateur, a précisé en 2018 que ce pic a d’ores et déjà eu lieu en 2008 (8).

Le pic pétrolier pourrait être le catalyseur de l’effondrement mondial. Certains considèrent les nouvelles sources de combustibles fossiles comme le pétrole de schiste ou les sables bitumineux comme des sauveurs, mais le problème est de savoir à quelle vitesse ces ressources peuvent être extraites, pendant combien de temps et à quel coût. Un indice : les principaux producteurs de pétrole de schiste fonctionnent tous aujourd’hui à cash flow négatif.

À aujourd’hui, et même si l’humanité suit de manière étroite les trajectoires calculés par l’équipe Meadows, l’effondrement de l’économie mondiale, de l’environnement et de la population n’est pas (encore…) une certitude ; notre avenir proche peut ne pas se dérouler comme les chercheurs du MIT l’avaient prédit en 1972. Des guerres peuvent éclater ou un véritable leadership environnemental mondial peut voir le jour. L’un ou l’autre pourrait affecter considérablement la trajectoire.

Quoiqu’il en soit, il semble peu probable que la quête d’une croissance positive et éternelle puisse se poursuivre sans contrôle jusqu’en 2100 sans causer de graves effets négatifs – et ces effets pourraient survenir plus tôt que nous ne le pensons.

Il est peut-être trop tard pour convaincre les politiciens du monde et les élites riches de tracer une voie différente. Donc, pour nous autres, il est peut-être temps de réfléchir à la façon dont nous nous protégeons alors que nous nous dirigeons vers un avenir incertain.

Comme l’a conclu l’équipe Meadows dans Limits to Growth en 1972 :

« Si les tendances actuelles de croissance de la population mondiale, de l’industrialisation, de la pollution, de la production alimentaire et de l’épuisement des ressources restent inchangées, les limites de la croissance sur cette planète seront atteintes au cours des cent prochaines années (nota : d’ici 2017). Le résultat le plus probable sera un déclin assez soudain et incontrôlable de la population, de la capacité industrielle et de la capacité de nos états à assurer les services en place. »

Jusqu’à présent, rien n’indique qu’ils se sont trompés.

Julien Chevalier

Consultant en Excellence Opérationnelle & Lean Management
Engagé pour une meilleure compréhension des problématiques « énergie-climat »
06 26 04 63 26 • julien.chevalier@horenso.fr
www.horenso.fr

SOURCES
(1) Limits to Growth, également sous les noms de « Rapport du club de Rome » ou « Rapport Meadows »
(2) L’institut Momentum www.institutmomentum.org fondé par Yves Cochet (ex député, ministre de l’environnement 2001-2002) précise que l’effondrement est « le processus irréversible à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, énergie, …) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».
(3) Massachusetts Institute of Technology
(4)  Fondateur du cabinet « Carbone 4 » spécialisé dans les problématiques énergie-climat, membre du « Haut Conseil pour le Climat », président du think tank « The Shift Project », a préfacé l’édition française de Limits to Growth traduit sous le nom de « Les limites à la croissance »
(5) « Is globalcollapse imminent ? », Graham Turner, University of Melbourne, https://sustainable.unimelb.edu.au/__data/assets/pdf_file/0005/2763500/MSSI-ResearchPaper-4_Turner_2014.pdf
(6) « Is globalcollapse imminent ? » page 8, Graham Turner, University of Melbourne
(7) « Comment tout peut s’effondrer », P Servigne & R Stevens, Ed. Seuil
(8) « World Energy Outlook » 2018, IEA

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